Argumentaire

ARGUMENTAIRE

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Ancrages multiples et positions de pouvoir

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 7 et 8 mars 2013

Défendant l’idée que « le social est toujours déjà spatial », la revue Regards sociologiques (2010) faisait le constat du rare recours à l’espace dans l’analyse des faits sociaux . La sociologie a pourtant depuis longtemps fait sien ce concept polysémique dans l’analyse des ‘‘espaces sociaux’’. La notion d’espace social permet, d’une part, d’éviter la réification des groupes sociaux, en introduisant l’idée de sous-espaces, de marges incertaines et de processus de recomposition . Elle invite, d’autre part, à penser le rôle de médiation joué par le territoire entre l’individu et les groupes auxquels il se rattache. Elle questionne enfin l’impact de ces derniers sur l’inscription territoriale. Le rapport du social à l’espace géographique peut être individuel ou collectif, constant ou ponctuel, territorial ou réticulaire, immédiat ou distancié, et reposer sur un ancrage unique ou multiple. Il importe de mettre en lumière la manière dont se structurent les relations de l’individu à l’espace, les modalités de leurs interactions, la faculté à les cumuler et les avantages qui en sont retirés.

La spatialisation souligne la multiplicité des places qu’un individu peut occuper au sein de champs institutionnels variés . Elle convie à interroger les effets de frontière traversant ces derniers, leurs antagonismes, les avantages et contradictions qui peuvent résulter de cette multipositionnalité. Quant à la spatialité , elle permet le basculement d’une approche positionnelle de l’espace, renvoyant à des attributs et des caractères, pour une perspective relationnelle prenant en compte les actions spatiales de l’ensemble des opérateurs. L’espace introduit aussi la diversité des échelles institutionnelles au sein desquelles se meuvent les acteurs sociaux. Se pose dès lors la question du recouvrement et de l’articulation des territoires et des rattachements institutionnels, selon leur champ et les fonctions occupées. Comment les espaces institutionnel et géographique influencent-ils l’élaboration de la catégorie sociale définissant ou revendiquée par l’individu ? Comment cette élaboration se trouve négociée, ventilée, modifiée, transformée selon les situations, moments ou évènements ?

L’ancrage multiple appelle le franchissement des distances et des frontières – sociales, culturelles, géographiques ou institutionnelles – dont la mobilité et l’adaptabilité constituent les pendants. Cette mobilité se traduit-elle par une perte de repères ou le rejet des racines ? L’autochtonie est le signe et le vecteur d’un ancrage fort. Dans quelle mesure constitue-t-elle la ressource d’un style de vie multilocalisé ? L’ancrage multiple tisse des ponts entre des pôles sur lesquels il prend appui. Le phénomène de centralité qui en résulte est-il influencé par l’autochtonie ?

La question de la multilocalité est au cœur de la redéfinition néolibérale des rapports sociaux et d’une conception de la mondialisation en termes de rétrécissement de l’espace et de dilatation du temps. La capacité à mobiliser dans des espaces locaux des ressources supralocales, comme sa réciproque, constitue « un atout non négligeable dans les stratégies de pouvoir » . De même, la faculté à rayonner sur un territoire, continue ou non, directement ou via des réseaux institutionnels, de sociabilité et/ou de parentèles notoires, affermit l’emprise exercée sur ce territoire. Il convient cependant d’interroger les conditions de possibilité de cette dernière sur un territoire au moyen d’une présence géographique et temporelle ponctuelle. Cette emprise participe à légitimer le rôle de représentation d’un territoire tant auprès de l’Etat central que des administrés, et donc celui d’intermédiaire. Parallèlement, cette réflexion trouve son pendant en termes institutionnels. Exercer diverses fonctions dans des instances dites de gouvernance variées conférerait un pouvoir accru correspondant aux apports cumulés de toutes les places occupées . Le rôle de référent et de relais s’en trouverait ainsi renforcé et, avec lui, celui de « passeur d’espaces » sociaux et géographiques. Ce postulat appelle une lecture stratégique des prises de position sociale. Pour autant, l’espace ne constitue une ressource sociale, et la mobilité une source de maîtrise pour un individu ou un groupe, qu’à la condition d’être en mesure de réactualiser les capitaux détenus au sein d’une pluralité d’espaces.

La multipositionnalité est un objet qui ne se donne pas à voir de manière évidente et son analyse nécessite la mobilisation de dispositifs méthodologiques. Aussi cette journée d’étude sera t elle l’occasion de revenir sur les avantages et limites des outils (entretiens, prosopographie, théorie des réseaux, etc.) et cadres épistémologiques mobilisés. Il s’agira également de montrer, d’une part, comment s’élabore le problème de l’ancrage multiple dans les pratiques d’enquête, et, d’autre part, l’influence exercée par la réalisation d’une enquête multi-située sur le rapport enquêteurs/enquêtés, sujet/objet de la recherche. Quels sont les moyens mis en œuvre pour face aux biais de la reconstruction, a posteriori, des parcours, qu’elle soit due aux chercheurs ou à l’enquêté ?

Ces journées d’étude questionneront donc l’articulation entre ancrage et mobilité, multipositionnalité et autochtonie, en France et à l’étranger, au cours des XIXe XXIe siècles, et plus particulièrement, la conversion d’un ancrage multiple en ressource, en source de pouvoir ou en facteur de légitimité.


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